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8 avril 2023

A 23 heures 54 mn les premières grosses gouttes de pluies chargées de poussière tombent sur le bivouac. Le visage mouillé je me réveille, j’observe que les lampes de ceux qui dorment dehors s’allument pour s’abriter sous les toiles des tentes.
Trop fatigué je referme la capuche de mon sac de couchage et rejoins mon rêve à peine dérangé.
À 2 heures les premiers tadornes casarcas commencent leurs « Hung » (cris de communication bruyants.), comme un interlude dans mon sommeil.

Arrivée à Ouarzazate au riad Dar Daïf
et à la kasbah de Taourirt

Ce matin le campement est rapidement démonté par l’équipe, les sacs personnels rassemblés. Un petit déjeuner léger pour les artistes – voyageurs car après deux heures de marche un petit déjeuner copieux est servi sur une vraie table et des chaises, avec les crêpes croustillantes du riad Dar Daif, et du café parfumé.
Notre camion matériel a pu arriver jusqu’au bivouac pour alléger la caravane de ses lourds bagages et rendre plus fluide la dernière étape pour les dromadaires, comme pour l’équipe.
La piste que nous empruntons sillonne entre les jeunes tiges des tamaris poussées sur les berges du lac en partie asséchées. La lumière toujours pastel nous inonde de douceur.
La joie euphorique d’arriver au point ultime de la caravane s’exprime, et en même temps de la tristesse car le mot fin est si proche, la projection du futur se précise. Finalement ces caravaniers ne désirent plus quitter cette Kafila. L’osmose créé par la caravane, les voyageurs entre eux, l’équipe des chameliers et des guides, la répétition des jours et des mouvements, ont créé comme une grande famille recomposée, devenue soudée. Par la découverte, l’expérience, les pratiques artistiques tellement particulières se nourrissants les uns des autres, avec respect et bienveillance. Cette joie s’associe en même temps à la souffrance passée de quelques jours de marche sur ces cailloux noirs, cuits par des milliers d’années de soleil. L’isolement, l’inconfort, le changement de vie, ont créé une seconde énergie, puisée au fond de soi, à la découverte d’un fluide créateur et constructif.
Les habitations deviennent plus denses, les badauds accompagnent la caravane dès les premières maisons croisées. La ville de Ouarzazate à l’horizon se dessine bien réelle.
Un groupe de musiciens « Tki-kia » entament leurs mouvements de tambours, la flûte retentit, le trombone géant souffle son registre de graves. Les résidents m’interpellent « on dirait qu’il y a une fête » ? « Attendons de voir » je réponds. Les musiciens sont là, ils se dirigent vers nous, pour nous accueillir de ce grand voyage comme il se faisait autrefois à l’arrivée des pèlerins et des voyageurs d’une caravane. Presque toute l’équipe de Dar Daif et de Désert et Montagne est là, se détache du groupe un petit bonhomme criant « Papy chameaux », qui coure dès qu’il m’aperçoit enfin, la joie du premier accueil de Layth (un de mes petits fils) me remplit d’émotions et me rappelle celle de mes propres enfants vingt-cinq ans plutôt au retour de plusieurs mois d’absences pour une traversée dans le désert. Ce retour attendu était une grande joie pour tous, comme les marins partis des mois naviguer. Ma fille Salma est là aussi venue de Marrakech avec sa famille, mes filles de cœur Khadija et Myriam. Zineb mon épouse apparaît heureuse aussi de notre arrivée.
Les « Tki-kia » par leur chorégraphie appellent au mouvement, à la danse, comme les « G’naoua » ils sont déclencheurs de joie, d’un état euphorique et d’émotions communicatives.
Embrassades, salutations émerveillées.
Ce convoie humain et la caravane des dromadaires est atypique dans le paysage moderne, et rappelle à tous ces anciennes grandes Kafilas qui sillonnaient autrefois l’Empire Chérifien. Le départ de ces voyageurs qui jadis ne savait pas s’ils allaient revenir car les dangers étaient multiples, les maladies n’avaient pas les antibiotiques à l’effet quasiment immédiat. Ces voyageurs osaient, créateurs de rêves pour qui ne s’aventurait pas à vivre la fracture de l’isolement, du risque de l’inconnu et d’un non-retour possible.
La caravane s’arrête devant la porte de Dar Daïf, la petite route est bloquée par notre convoi. Les dromadaires craignent de franchir la grande porte du garage – dépôt de Dar Daif, tellement habitués comme nous à l’espace infini qui nous a enveloppé durant ces 31 jours de marche. Brahim et Addi avec leur douceur et en même temps fermeté arriveront à faire rentrer les chameaux hésitants pour les faire baraquer et déposer les lourds bagages.
Nous pénétrons à Dar Daif par la grande porte de bois. L’accueil est très joyeux, serveuses, cuisinières, voisines se joignent à la joie de notre arrivée.
L’équipe de l’Institut Français de Rabat et de Marrakech sont là aussi, venues accueillir ces voyageurs un peu particuliers, se mêlant aux partages, à la danse, aux émotions qui se lisent et s’expriment sur chacune et chacun de nous. La fête « Tki-kia » aide à oublier la tristesse de fin de cette aventure humaine, personnelle, collective comme un puzzle aux pièces découpées, construites, modelées au fil des jours. C’est aussi la charnière d’une nouvelle porte qui s’ouvre pour chacun de nous.
Cet arrêt de quelques heures à Dar Daif, est comme une halte pour reprendre quelques forces et se préparer à entrer dans la grande ville de Ouarzazate, et arriver à la kasbah de Taourirt. Lieu emblématique sur la route des caravanes anciennes qui après avoir traversé un grand désert, faisaient halte ici avant de franchir l’Atlas et atteindre Marrakech le grand marché du Maroc.
La douceur et l’harmonie de Dar Daif, ses recoins fontaines et terrasses sous les étoiles, que j’ai rêvé aussi durant les longues traversées dans le désert, est le lieu idéal pour le repos et récupérer l’énergie pour continuer le chemin.
Fin de matinée la caravane se remet en route au travers des jardins des rives de l’oued de Ouarzazate. Les premiers champs de blé et d’orges semblent presque mûrs, le vent créé des ondulations sur les tiges souples qui reviennent inlassablement à la verticale. Le sentier étroit contourne ces surfaces cultivées, parfois les dromadaires se contorsionnent tout en marchant et arrachent une touffe de céréales, nous narguant par ce délice interdit. Embouteillage sur un petit pont de bois ! où un troupeau de brebis traverse une bête à la fois, nous attendons notre tour !
Une ruelle se précise, nous entrons par le bas du village populaire de Taourirt jusqu’à la fontaine. Les rues étroites tournent à l’angle et les bâts des chameaux cognent les murs. La kasbah de Taourirt est construite sur une colline, le chemin monte et atteint l’entrée de la Kasbah qui s’étend sur deux hectares. La kasbah la plus grande du Maroc, édifiée au 17eme siècle par la tribu des Glaoui et occupait une position stratégique à la croisée des itinéraires caravaniers au sud de l’Atlas. Cette kasbah restaurée par l’organisme du Cerkas est majestueuse.
L’Ahwach de Ouarzazate retentit dès que nous franchissons la porte, le premier cri d’une femme donne l’alerte du départ, dans le cercle coloré des femmes ornées de beaux apparats et de bijoux berbères. Les hommes sont vêtus de djellabas blanches et coiffés de turbans. Le battement quasi instantané des grosses caisses résonne dans la cour de cette kasbah au passé chargé.
Cet art transcendant comme je me rappelle l’avoir vécue il y a quelques années aux cœurs de l’Atlas dans les cours des anciens Cheikh et notables ou j’ai été convié, où s’effectuait l’art d’Ahwach, autour d’un grand feu qui chauffait les peaux tendues des tambours et éclairait de sa lumière réfléchie sur les hauts murs en pisés de la cour.
Ahmed Choukri directeur de la nouvelle Alliance Française de Ouarzazate ouvre un mot de bienvenue ainsi qu’Agnès Humruzian directrice de l’Institut Français du Maroc et saluent la réussite de cette Kafila aux performances multiples.

SOIRÉE de RESTITUTION à la kasbah de Taourirt.
Première restitution des résidents « artistes – voyageurs » dans la caravane KAFILA, durant 30 jours.

GENÈSE de ce projet KAFILA : Projet que j’avais en tête depuis des années et que j’ai partagé au printemps 2019 sur le coin d’une table à Dar Daif avec Martin Chesnot ancien directeur de l’Institut Français du Maroc à Casablanca. Le projet validé par l’IFM, la caravane a démarré de Foum Zguid il y a 3 ans. Programmée pour 3 mois de traversée artistique et culturelle, au départ de Foum Zguid, traversant le désert de Chgaga jusqu’à l’entrée de la vallée du Drâa que nous avions prévu de remonter jusqu’à Ouarzazate. Ensuite franchir l’Atlas au tizin Tellouet pour descendre dans la plaine du Haouz, entrer à Marrakech et baraquer les chameaux sur la place Jema El Fna comme le faisaient encore en 1920 les caravanes après avoir effectué un long périple à travers le grand désert, venues de l’ancien Soudan. Après quelques jours de repos, la caravane KAFILA repartait, longeant le piémont nord de l’Atlas pour atteindre l’Océan et la fin de l’ancienne route caravanière, longeant la côte pour arriver à Essaouira. Fin d’un voyage fantastique, où les « artistes – voyageurs » dans une résidence itinérante un peu particulière auraient pu partager leurs travaux.
Le Covid a fait fermer les frontières et la caravane a dû s’arrêter après 13 jours de marche au travers du désert. Le 16 mars 2020, les « artistes – voyageurs » sont rentrés d’urgence.
Une partie de la nouvelle équipe de l’Institut Français du Maroc s’est retrouvée par hasard le plus complet à Dar Daif fin d’année 2020, alors que les frontières étaient encore fermées. Nous avons partagé ce projet autour d’une autre table, et le format de KAFILA a pu revoir le jour.
Je remercie bien sûr la direction de l’Institut Français du Maroc, Agnès Humruzian directrice à Rabat qui a cru à la caravane KAFILA. Tout particulièrement Ina Pouant qui a été l’ambassadrice de cette caravane KAFILA, et Louise Guin le maillon fourmi qui a géré ce grand projet.

La dernière intervention scientifique sera la visite de cette grande kasbah de Taourirt par le directeur du Cerkas. Si Ahmed Boussalh que nous revoyons pour la deuxième fois, nous reçoit avec joie dans ses locaux et nous aide à rentrer dans l’histoire de ces kasbahs, véritables caravansérails sur les routes caravanières.
Il nous raconte que le peintre Jacques Majorelle en 1922 était invité de la famille Glaoui où il établira sa résidence à Ouarzazate durant une dizaine d’années. Nous visitons l’appartement qu’il occupait et dont il avait effectué des fresques de peintures aux plafonds. Il parcourait l’Atlas et quand il se rendait à Marrakech remontait la vallée de l’Ounila où il aimait s’arrêter peindre les kasbahs élancées de l’Atlas, avant de rejoindre Tellouet et franchir l’Atlas vers Marrakech.

Ce soir dernier repas festif F’tor – dînatoire au riad Dar Daif. Autour d’une grande table se retrouvent les « artistes – voyageurs » résidents, l’équipe de l’IFM venue de Rabat et Marrakech pour accueillir la caravane et les artistes Marocains et Étrangers. Ils ont partagé leurs joies et les performances réalisées par ces artistes après un mois de marche, depuis les sables du désert, les montagnes arides, noires et bleus violettes, les palmeraies et ses kasbahs de terre ocre. C’est aussi une caravane humaine, la vie en communauté et le temps de créations artistiques. Chacune et chacun à du s’adapter à la marche et au format d’itinérance. Nourris par les rencontres et partages des scientifiques venus éclairer les voyageurs sur cette vallée du Drâa mystérieuse, envoûtante.

REMERCIEMENTS aux INTERVENANTS scientifiques et de l’Oralité.

NACIRIA EL HOUASSI : Visite de son petit musée familial à M’hamid Ghizlane.
« Seven Kasbah Museum ».

HASNAA CHENNAOUI : Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca et présidente de la fondation Attarik – “Les météorites au Maroc entre sciences et patrimoine”.

BRAHIM BAKKAS : Naturaliste saharien.

HASSAN NACIRI : conservateur de la bibliothèque Zaouia Naciria à Tamgrout.

MOUNA LOUBNA : Fondatrice de la Maison de l’oralité – « Ahwach » : l’espace de l’expression du collectif. Conférence à Zagora.

MUSTAPHA MEROUAN : Conservateur et chercheur – « Ahwach » : l’espace de l’expression du collectif”.

CHEIK HMAD BOUAZAMA OUHACHEM
Légende de la poésie orale Amazighe, ce grand Mathème Amdiaz (maître poète), nous a offert sa poésie à Zagora.

AICHA OUJAA : Paléoanthropologue et archéologue de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), intervenue sur le site des gravures rupestres de Foum Chenna.

MOHAMED BOUSSALH : Directeur du CERKAS (Centre de conservation et de Réhabilitation du patrimoine architectural Atlasique et Subatlasique) – “L’architecture en terre à la Kasbah des Caïd” et “Visite de la Kasbah Taourirt”

MBAREK AIT EL KAID : Chercheur en sociologie. Visite de la kasbah familiale à Agdz.

YOUNES FAKIR : Professeur de la Faculté des Sciences Semlalia de Marrakech (FSSM), hydrogéologue : “Conférence à Agdz, sur le cheminement de l’eau qui alimente la palmeraie du Drâa, et alerte sur la diminution quasi irréversible des eaux souterraines fossiles

PIERRE-LOUIS FRISON : Professeur détaché d’une Université Parisienne à la Faculté des Sciences Semlalia de Marrakech (FSSM), spécialiste d’observations satellite sur les précipitations hydrique : « Conférence à Agdz autour de l’optimisation de l’eau fonction des précipitations hydrique pour l’usage agricole ».

MUSTAPHA FAOUZI : Directeur de l’agence de l’ONZOA du Bassin Hydraulique de Drâa Oued Noun et de l’Agence nationale de développement des oasis : “Conférence à Agdz autour des actions de l’État pour pallier ce stress hydrique et actions pour un meilleur développement.

NASSER SQALLI : Astronome amateur et animateur de la Fondation Atlas Dark Sky – “Lecture du ciel étoilé” au cœur des gorges du Drâa.

ISMAIL EL ALAOUI : Ornithologue amateur, spécialiste des oiseaux du bassin de Ouarzazate et du géo-Park du M’goun.
Observation au lac Mansour Eddahbi.

Mention particulière à mon ami Michel Camus, qui m’a nourri de ses recherches et traductions, grand passionné par l’histoire du Maroc.

REMERCIEMENTS aux AUTORITÉS :
Province de ZAGORA où 90 % du parcourt s’est effectué.
Province de OUARZAZATE pour l’accueil de la caravane à notre arrivée à Ouarzazate et à Taourirt.