J24

2 avril 2023

Hier soir au moment de se coucher une demande de plusieurs artistes pour découvrir l’expérience de marcher de nuit. Appréciant moi-même marcher la nuit j’aurais aimé réaliser cette demande. Pas simple car nous abordons le secteur montagneux avec peu de sentiers et nécessité de marcher à vue. Cela avait du sens dans un désert plat, non encombré de cailloux.
Ce matin nous partons à cinq heures, deux heures plus tôt, le terrain le permet de marcher avec la frontale dans la nuit encore noire.
Nous suivons une piste qui longe la palmeraie et le fond de l’oued Drâa. Le village de Tinighil est encore dans un sommeil profond, quelques chats traversent notre chemin.
Nous longeons l’oued Drâa, le jour se lève, gris-bleu, dans la fraîcheur du petit matin.
A un instant donné les oiseaux démarrent leurs chants, quelle beauté cette symphonie de l’ode à la vie.
Les premiers pigments rosés se déposent sur le haut des falaises. Les couleurs tournent très vite à l’orangé pour quelques minutes puis deviennent brûlées et contrastées. Une troisième phase de couleur apparaît, au cœur de la palmeraie quand le soleil en contre-jour transperce l’orge vert lumineux et presque fluo.
Les lauriers roses sont déjà en fleurs rose pâle, les figuiers portent leurs jeunes feuilles. Il y a un microclimat étonnant dans cette haute gorge abritée, au pied des hautes falaises.
Ce matin le régale des yeux et du cœur est au rendez-vous.
Brahim parti du bivouac au petit jour avec les deux chameaux assistances nous rejoint après deux heures. Les dromadaires transportent dans leurs doubles paniers les petits sacs de matériel technique que pourraient avoir besoin les artistes-voyageurs si une opportunité de créer se présentait. Sur le dromadaire « pique-nique » quelques bidons d’eau de réserve car nous buvons beaucoup, la chaleur commence. Un assortiment de fruits secs pour une petite faim en milieu de matinée et le repas de midi avec toujours la théière, les verres pour le thé.
Apparaissent les premiers « Takboughkt » (écureuil des rochers – écureuil de barbarie), très joueurs et furtifs, qui oublient vite notre présence si l’on ne bouge pas, magnifiques à observer aux jumelles, très joueurs, ils se déplacent parfois sur leurs pattes arrière.
L’activité dans les jardins vient de commencer, nous croisons hommes et femmes qui rejoignent à pied une parcelle de culture ou que l’on voit éclaircir l’orge, irriguer, ramener une charge de luzerne portée sur le dos où sur un âne, pour les animaux qui restent dans la cour de la maison. C’est principalement pour nourrir une vache qui donne le lait et son dérivé du beurre pour la famille. La vache n’est pas mise au pré comme en Europe car les surfaces de cultures d’herbes à brouter sont si réduites et rares. Si on aperçoit une vache brouter c’est parfois sur le rebord d’un talus de séguia d’irrigation, tenue avec une longe ou attachée à un piquet.
En traversant le village de Tizgui nous rencontrons quelques enfants qui partent à l’école coranique avec « tahleuht » sorte d’ardoise où ils écrivent des versets coraniques avec une plume taillée dans du roseaux, l’encre « smeugh » est fabriquée avec la cendre de la laine de brebis brûlée. La couleur et la texture de cette encre sépia est magnifique utilisée sur du papier.
Croisant le moqqadem, je lui demande si l’eau coule à la cascade cette année. Il me répond que oui. Je propose aux artistes-voyageurs d’effectuer un détour vers la cascade. Ce lieu est paradisiaque pour qui marche depuis plus de vingt jours dans le désert. Cela paraît inimaginable de trouver une cascade et des vasques d’eau cristalline, des sources suintant sur les deux rives et dans des fougères, surnommées « cheveux d’anges ». Nous passerons trois bonnes heures à nous rafraîchir, nager quelques brasses et plonger comme des enfants dans cette cuvette d’eau clair où des poissons noirs sont revenus à la vie, après une période de plusieurs années de sécheresse. Nous remontons ce petit « rio » resserré comme on en trouve au sud des Pyrénées dans les canyons.
Les quelques pluies cet automne sur l’Anti-Atlas ont alimenté cette résurgence. Un véritable moment de joie et de ressourcement, une oasis dans le désert.
5 heures de marche, 18 km de sentiers au cœur de la palmeraie, au long de l’oued Drâa, pistes entre les villages, altitude 980 mètres.

Ce soir nous avons la venue d’un grand astronome amateur Monsieur Sqalli Nasser. C’est aussi un artiste – ébéniste, spécialisé dans la fabrication de lunettes, sextants et appareils de mesures.
Il a lui-même fabriqué son télescope en bois de recyclage, quelques miroirs, un oculaire et un pointeur récupéré ici et là.
Grand pédagogue dont il partage sa passion des étoiles et des planètes avec les enfants et les jeunes.
Jusque tard dans la nuit bous nous délectons de ses connaissances astronomiques. Passionné par la voie lactée depuis l’enfance il a ensuite appris l’astronomie avec les enseignants de l’université de l’Oukaimeden.
Le deuxième sujet abordé ce soir, « nuisances des pollutions lumineuses ».
La nuit n’est plus la nuit, dit-il, cette lumière à outrance perturbe le cycle de vie des vivants, des animaux, des insectes, des oiseaux migrateurs et de l’humain. Il partage son point de vue réfléchi et amène à nous repositionner pour un meilleur équilibre.
Il en faudrait plus des hommes comme lui, engagé pour une meilleure harmonie de vie, un lanceur d’alerte comme on dit aujourd’hui.
Il milite pour la création de réserves de ciel étoilés.