J18

27 mars 2023

Durant le repas de Ramadan « Sohgh » (d’avant l’aube) je rejoins l’équipe pour le partager, dans la tente cuisine. En m’asseyant je remarque un scorpion noir sur le mur intérieur de toile de tente, à peine le temps de le dire qu’il est déjà arrivé à grande vitesse sous le toit de la tente, se sentant piégé par la pente en surplomb, il se laisse tomber et sort droit par l’entrée de la tente. L’équipe n’a pas réagi puisqu’il est sorti très rapidement. Je sais que s’il était allé sur le côté dans les sacs ils l’auraient vite recherché.
Dès que le jour pointe l’orge est versée sur plusieurs bâches, petit déjeuner des chameaux !
Sept heures, nous commençons à traverser de la plaine nord, évitant malheureusement un site de gravures rupestres qui nous rallongerait de huit kilomètres plus le temps de la visite du site.
Une certaine fatigue du groupe après dix-huit jours de marche nécessite de choisir. Cette prochaine journée étant très caillouteuse je préfère shunter les gravures, il nous aurait fallu un jour de plus.
Le pickup assistance venu nous amener le ravitaillement est resté cette nuit, il nous double avec à bord quatre artistes ayant les chevilles un peu fatiguées par les cailloux des derniers jours. Cinq kilomètres de moins pour certains sera un réconfort pour mieux profiter de la journée et surtout de la suite dans l’oued et haute gorge du Drâa.
A l’entrée d’un jardin l’ombre des palmiers dépasse sur la petite piste, un homme nous observe. Difficile de lui donner un âge, très élégant, un berger peut-être qui porte en bandoulière une paire de jumelle dans une sacoche en cuir comme il ne s’en fait plu. Cet homme ne parle qu’Arabe, peut-être ancien nomade sédentarisé ayant encore quelques chèvres. Nous nous saluons. L’homme est interloqué par notre caravane qui marche un mois depuis les sables du désert jusqu’à Ouarzazate. Cet homme a un port droit et nous regarde dans les yeux, un homme du désert.
Je remarque rapidement au lobe de son oreille droite un trou très marqué où à longtemps été accroché un gros anneau d’argent quand il était plus jeune.
Le dernier homme du désert que j’ai croisé avec un anneau à l’oreille, c’était il y a une trentaine d’années à R’bat Al Hajjar.
J’appellerai l’homme Boujema. Il porte un foulard rouge qui lui enveloppe la tête comme les « chorfas » en portent un de couleur jaune, recouvert d’un grand chapeau de paille. Peut-être fait-il parti d’une ancienne tribu arabe d’origine d’une des dynasties du Drâa où du Tafilalet. « La vallée de Drâa, foyer de la Dynastie Saadienne. La vallée du Drâa a contribué à cette construction étatique du Maroc avec l’avènement de la Dynastie Saadienne dont le berceau se situe à Tagmaddert, dans l’oasis de Fezwata, le long du coude du Drâa moyen, au sud-est de Zagora (que nous avons traversé après Zagora). Cet événement a coïncidé avec l’occupation des côtes marocaines par les puissances ibériques portugaise et espagnole à partir du XVème siècle, dans le cadre de leur expansion coloniale. Ainsi, face à l’incapacité de la Dynastie des Wattassides à déloger les Portugais, notamment à Agadir, les cheikhs de confréries religieuses Jazoulites et les chefs de lignages du Souss font appel au Chérif Sâadien Mohamed Ben Abderrahman Al-Qaim Bi Amrillah installé à Tagmaddert, et ce afin de diriger le jihad (guerre sainte) contre les occupants. Cet acte qui marque la naissance de la Dynastie Saadienne après l’allégeance faite au chef Saadiens en 1510 à Tidssi, a été favorisé par le Cheikh de la Zaouia d’Aqqa, dans le Bani, Mohamed Ben Mbarelk Al-Aqqaoui qui décline l’offre d’être investi prince du Jihad et a orienté les dignitaires du Souss vers les Chorfa Saâdiens, installés à Tagmaddert, depuis le XIIème siècle, date de leur arrivée d’Orient. »
Boujema confirme à Brahim que le passage du col est difficile pour les dromadaires, qu’il n’y a plu de nomade où de berger qui pâturent leur troupeau et il n’y a pas d’eau.
La caravane repart. Brahim et Addi ont déjà franchi ce col une fois en sens inverse il y a trois ans avec la caravane d’Alice Morrison partie du lac de Ouarzazate pour rejoindre l’Atlantique en trois mois.
Je m’attarde quelques minutes pour contempler la beauté de ce jardin – oasis.
Nous quittons la piste par un ancien chemin qui remonte dans un oued un peu sableux, travaillé par l’érosion. La variété des roches y est extraordinaire, en premier des grés vert- gris et rouge – grenat, puis nous arrivons sur le socle granitique primaire de couleur grise et également vert foncé, suivi d’une couche de sédiments marron – crème. Un gros bloc au milieu de l’oued m’intrigue, il porte des traces fossilisées bien nettes d’empreintes de dinosaures, sorti d’une de ces couches de cent cinquante millions d’années !
Le sentier rejoint une vire sur un promontoire pour accéder au tizi’n Arguioûne, 1480 mètres. La vue est époustouflante avec un dégradé de crêtes rocheuses, au cœur apparaît la palmeraie du Drâa vert sombre.
Un abri de berger dans la forme parfaite d’un d’igloo construit en pierre, avec à côté deux pièces à ciel ouvert, carrées cuisine et vie. Deux petits abris attenants pour protéger les chevreaux où agneaux les journées de grand soleil, risque des chacals et renards et attendre le retour des mères du pâturage le soir, en fait la nurserie !
La descente s’effectue sur un sentier raide par une vire puis creusé par le passage des animaux, l’érosion, encombré de gros rochers tranchants. L’équipe des chameliers est très attentive car un dromadaire qui s’arrête par peur de glisser risque d’être entraîné par la corde du mors qui le maintien au dromadaire devant lui qui continue de marcher. Le risque est grand qu’il bascule et se blesse sur les rochers, où même qu’il se face arracher l’avant de la mâchoire inférieure, l’accident serait terrible. Addi est le plus attentif et agile à bondir dans ces rochers pour libérer le dromadaire qui gémît. Né au milieu des chèvres et des chameaux il aime trop ces animaux et connaît leurs cris.
Un grand bravo à toute l’équipe qui s’est battue au cœur de cette montagne du désert pour le passage de la caravane sans dégâts, Idir originaire d’une famille nomade à Tagounit, Brahim également d’une famille nomade originaire du Saghro qui a rejoint il y a deux mois l’équipe et Brahim le « F’ki » (L’Imam de l’équipe) qui conduit les dromadaires avec beaucoup de douceur et de respect.
Je suis très fier d’eux et heureux de travailler avec tous. Ils sont devenus de grands Messieurs du désert, par leurs origines et l’expérience des grandes traversées chamelières.
Il y a quelques jours une de nos caravanes conduite par Ali, est partie pour un mois de traversée avec cinq personnes. Cette année c’est la quatrième grande traversée que nous réalisons.
Au pied de la pente la suite n’est pas simple, un grand oued alimenté de petits oueds, nécessite de naviguer et trouver les passages dans cette érosion à la recherche du cheminement avec le moins de blocs qui pourraient blesser les dromadaires, le plus régulier et sableux possible. Cela me fait penser aux grands glaciers encombrés de blocs et de crevasses qu’il faut deviner, louvoyer et contourner. La descente est fluide jusqu’aux abords du petit village d’Arguioûne logé dans un pli de montagne où nous installons le bivouac sur un lieu dégagé de cailloux.
Les trois tentes à peine montées, les voyageurs arrivent. Franchement bravo à nos artistes de Kafila, ils sont devenus aguerris aux pieds montagnards.
6 heures 30 de marche, 18 km sur piste, sentier, hors sentier, vires, oueds de gros cailloux, équivalent de 25 km efforts, 300 mètres de dénivelés montés, 400 mètres en descente, altitude 990m.
Une journée dure et très esthétique, appréciée par tous.