J25

3 avril 2023

Dès le matin un ancien sentier s’élève raide, il est taillé par endroits dans un granit très granuleux pour le passage des caravanes.
Ce chemin est soutenu de murettes de pierres car la pente abrupte nécessite des aménagements pour chaque virage. Pour les dromadaires tourner à l’angle serré est difficile car l’animal est long et il a du mal à imaginer qu’il doit virer l’arrière de son corps pour passer, c’est comme la remorque d’un camion ! Les chameliers doivent souvent les faire passer un à la fois.
Nous nous élevons sur le socle granitique ancien, d’une magnifique texture marron – doré. Le parcours s’effectue en lacets et utilise les vires naturelles pour cheminer entre les falaises du Drâa. L’ambiance de ce passage ressemble plus à un chemin au cœur du massif du Toubkal que dans le Drâa.
Les caravanes avaient régulièrement des passages difficiles pour traverser l’Anti-Atlas puis le haut Atlas avant de rejoindre la plaine de Marrakech.
Nous arrivons au tizi’ Timiret altitude 1370 mètres, en même temps que la caravane des chameaux de bagages qui nous rattrape. Addi baraque un premier dromadaire pour lui retend les cordages d’attaches aidé de Brahim car le chouari (double paniers) à glisser un peu vers l’avant, cela pourrait-être dangereux pour la descente si les bagages glissaient sur le cou du dromadaire. Pour un autre chameau qui porte une des trois tentes Idir réajuste la charge qui est en train de glisser sur le côté.
Les dromadaires se reposent quelques minutes, la caravane repart sur un plateau de vallonné, nous croisons quelques pistes anciennes utilisées pour l’exploitation de mines. Sur l’oued assif n’Handogh (qui rejoint Ait Saoune), un bâtiment ancien est surnommé « l’hôtil » par un berger croisé ce matin, construit en pierre et en pisé encore en assez bon état. Peut-être une base technique minière où un lieu de repos pour les caravanes et croisements des sacs postaux comme cela s’effectuait autrefois dans l’Atlas.
Nos chameaux boivent dans l’oued presque à sec où un filet d’eau remplie deux gouilles.
Paul est installé à plat ventre avec son appareil photo et des filtres à la recherche de mirage, là mélangés avec l’élément de l’eau et d’algues vert fluo.
Nous retrouvons une végétation moins brûlée par le manque d’eau, les touffes de lavandes dégagent une essence très forte qui nous parvient à plusieurs mètres de distance. Nous distinguons une petite tente nomade marron foncée, fabriquée avec de la laine de dromadaire et des poils de chèvres, tissage difficile à réaliser dont les femmes nomades sont expertes. Mohamed en effectue le détour pour voir de plus près les détails de la tente et nous rejoint, son travail porte aussi sur la laine.
Notre ligne de marche va sur une montagne conique dont la partie sommitale rocheuse du nom d’Ighil Handogh, est surnommée « Tajine » du fait de sa forme, et que l’on voit très bien depuis la route qui descend d’Aït Saoune vers Ouarzazate, à l’Est environ 8 kilomètres.
Les chameaux s’arrêtent sur un emplacement dégagé de pierres d’un campement de nomades, nous arrivons aujourd’hui presque en même temps que la caravane. Les dromadaires déchargés, les tentes sont vite montées pour procurer de l’ombre, sur ce plateau où quelques maigres jujubiers, offrent une ombre insuffisante juste pour rafraîchir nos gourdes d’eau, pas d’arbre.
Il est juste midi.
4 heures de marche, 14 km sentiers de montagne et plateaux, 17 kilomètres effort. Altitude 1350 mètres.

Je pars aussitôt gravir cette montagne surnommée « Tajine », du nom « Adad », la face sud semble difficile à grimper sans matériel. Je pense distinguer sur la crête du sommet un petit bout de mur.
J’ai remarqué plusieurs fois en marchant durant ces 24 jours, des ruines de murs d’habitations en haut de ces falaises.
En effectuant le tour de cette montagne se dessine un cheminement, et même des terrasses successives soutenues par des murs montés de très grosses pierres et difficiles à franchir. Un tel travail nécessitait de solides mâts de bois pour basculer ces pierres et les ranger en terrasses, accrochées à la falaise. Je peux distinguer une sorte de muraille barrant l’accès à d’éventuelles brigands.
J’accède rapidement en haut de ce sommet et j’observe l’emplacement creusé assez récemment à trois endroits différents, de formes rectangulaires, semble montrer qu’une une caisse a été dérobée par des chasseurs de trésors.
Autrefois les caravanes qui effectuaient le transport depuis l’ancien Soudan, acheminaient de l’or en poudre qui était coulé à l’entrée de la vallée Drâa dans le Ksar Taragale.
Ces pièces d’or rondes et carrées étaient ensuite convoyées vers Marrakech et au-delà. Il était courant que ces caravanes soient pillées et les butins stockés dans des lieux secrets et enterrés. En haut de montagnes, dans des cimetières et des tumuli.
Quelle tristesse ces vols du patrimoine qui en plus de la valeur marchande de ces trésors devaient renfermer des indices d’informations sur ces populations qui habitaient ces châteaux forts perchés en haut des falaises. Parfois l’accès était aménagé par des sortes de rampes de bois, farouchement gardés par plusieurs remparts protégeant la citadelle (j’ai pu compter 6 remparts sur la face Nord-Est de l’ancien village au-dessus de Foum Chenna.
Je suis intrigué depuis une trentaine d’années par ces ruines accrochées en haut des falaises dans le Jbel Saghro et des falaises de la vallée du Drâa, comme des habitats troglodytes des vallées sud Atlasique.
J’ai eu la chance il y a quelques années d’apercevoir du ciel en survolant en hélicoptère puis en ULM les aiguilles du Saghro et la haute gorge du Drâa et sa vallée. J’ai remarqué ces ruines de villages perchés en haut de falaises parfois très grandes avec des ruelles et des petites habitations. Je pense qu’il y en a une quarantaine tous en hauteur dès l’embouchure des falaises du Drâa du secteur de Tidri face au désert jusqu’à la fin des hautes gorges avant les plateaux d’Aït Saoune et Ouarzazate.
Au pied sud de l’Atlas, ces habitations sont des grottes troglodytes creusées dans les falaises que l’on distingue très bien dans les basses vallées sud de l’Atlas, souvent groupées, pouvant communiquer entre elles, et même à plusieurs étages avec des cheminées d’accès. De l’assif Ounila aux gorges du Dadès et sûrement plus à l’Est.
Ces habitations troglodytes où citadelles en haut de falaises, sont souvent situées proche d’actuels gros villages en bordure des vallées.
En questionnant les habitants de ces villages au pieds de ces sites, des vallées sud Atlas et du Drâa, tous indiquent « portugaise ». Comme si une civilisation portugaise aurait vécu très nombreux dans cette grande région.
Cité également par Jacques Meunié dans son livre Irhem Tisioual « greniers citadelles au Maroc », photos des années 40-50, et l’origine « Portugais ».
La présence des Portugais autrefois n’a jamais été prouvé. Les Portugais ont bien occupé Agadir et Safi au 16 è siècle mais d’après les historiens et les archives portugaises, ils n’ont jamais dépassé Taroudant.
Les habitants primitifs des falaises et des citadelles de ces deux grands sites Sud Atlas et Drâa avaient-ils un lien entre eux ?
Durant cette marche depuis le deuxième jour je pense souvent à cette énigme étrange « portugaise ».
À la suite de la visite du site des gravures rupestres de Foum Chenna, et l’intervention d’Aïcha Oujaa, paléoanthropologue, je réalise que les populations surnommées « portugais » seraient peut-être des Berbères – Amazirs primaires qui habitaient ces citadelles à une époque très ancienne et s’étaient progressivement sédentarisés sur ces sites inaccessibles pour se protéger en premier lieu de la présence dangereuse d’animaux sauvages.
Car Aïcha Oujaa nous indique que les gravures ne montrent pas de scène de guerre. J’ai tout de même pu voir une gravure d’un homme à cheval faisant face à un homme à pied, tous les deux munis de lances, probablement une simple bagarre !
Les guerres seraient venues plus tard.
Sur les gravures rupestres de Foum Chenna apparaît quelques félins, faisant face à des chiens et des hommes montés sur des chevaux, armés de lances ou d’hallebardes très longues avec à leur pointe des pics dirigés vers le bas, avec chacun un petit bouclier circulaire.
A cette même époque le lion de barbarie était très présent dans l’Atlas et peut-être dans le Drâa, puisqu’il a perduré jusqu’en 1942, dernier lion tué par des militaires français sur le versant nord de l’Atlas près de Taddart.
Aïcha Oujaa fait référence de gravures rupestres trouvées sur les sites de ruines d’anciens villages en haut de falaises proches de Foum Chenna, de même facture que le site principal en bordure de l’oued. J’ai pu moi-même voir deux gravures sur un site d’habitat citadelle dans l’assif Wiggane rive droite.
Plus tardif, « La forteresse perchée du Jbel Zagora, fait partie de cet ensemble. Une datation au carbone-14 des murs des parties supérieures et inférieures de la ville ont donné un ensemble de dates du XIe-début XIIe siècle, conforme à une date almoravide, mais avec des preuves d’occupation antérieure et ultérieure dans les siècles de part et d’autre. Fait intéressant, les dernières dates proviennent actuellement du site de la citadelle, qui s’étendait certainement bien dans l’ère almohade et peut-être plus tard dans le treizième siècle. En tout état de cause, l’association traditionnelle de ces sites avec les dynasties almoravides et almohades paraît correct (cf. Meunié & Allain 1956), même s’il reste à faire des recherches pour voir jusqu’où ils ont pu continuer sous le Mérinides (ou Wattassides).
Parmi les structures encore debout dans la ville basse se trouvent une série de grands monuments funéraires, dont l’un a été daté entre 989-1151. »
Ces populations dites « Portugais » seraient peut-être les premières populations primitives, cousins anciens de ces berbères – Amazirs qui se sont succédés entre 4000 ans et 1800 ans, puisque des gravures dans la région sont datées très anciennes et plus récemment jusqu’au Almoravides.
L’énigme est toujours là et mérite que des archéologues approfondissent le sujet.

Voir le site « La route des empires »

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