J19
28 mars 2023
Nuit douce, les nuages de soirée sont restés.
Je constate que les dromadaires sont de plus en plus familiers du campement et des voyageurs, ils s’installent la nuit au bord du bivouac et entre les tentes.
Grasse matinée de trente minutes, avec la louche je sonne dans une gamelle comme dans un gongue à six heures.
L’étape est courte aujourd’hui, nous rejoignons la palmeraie du Drâa pour rencontrer notre ami Abdelghahim. Il va nous immerger dans l’agriculture oasienne.
La caravane se met en marche et nous louvoyons au milieu de l’immense oued caillouteux de Tametsift que nous traversons juste sous le nouveau pont qui enjambe l’oued. Nous évitons ainsi de couper la route avec les dromadaires, ce qui serait un risque.
Othman artiste – voyageur plasticien originaire de Tazzarine est très à l’aise avec l’équipe des chameliers dont Addi et Brahim sont aussi de la même confédération de tribus des Aït Atta. Le thème de son projet est la recherche des jeux d’enfants, anciens et actuels.
A l’écart du nouveau village de Timidart, Abdelghahim nous attend devant la porte d’un grand mur, la caravane s’arrête.
Nous découvrons derrière ce mur un splendide jardin de légumes, fleuris et juste l’espace pour installer nos deux grandes tentes nomades pour passer la nuit.
Abdelghahim originaire de Timidart nous emmène visiter le patrimoine de ses racines familiales, du village ancien, de la palmeraie. Nous passons le rempart des jardins qui protège l’espace agricole pour la survie de la tribu ayant à une époque subit le pillage de tribus voisines ou de tribus sahariennes affamées par les sécheresses. Nous déambulons sur ces chemins bordés également de grands murs séparant les cultures familiales. Régulièrement il s’arrête pour nous expliquer la vie sociale dans ces jardins qui remonte à plus de cinq siècles. Cet éclairage est passionnant sur les différents étages de cultures en trois niveaux créant un microclimat généré par les palmiers dont l’ombre modérée, protège des températures extrêmes de l’été pouvant atteindre +48* et des gelées possibles en hiver -6*. Les arbres fruitiers ainsi protégés offrent une grande variété de fruits, coings, abricots, pommes, poires, pêches, amendes, figues, vigne et l’olivier. Le troisième niveau correspond aux céréales, légumes les plus variés et les plantes complémentaires tel le henné.
Les jardins du Paradis sont là pour qui veut bien se donner la peine de travailler la terre, avec amour et passion comme nous explique Abdelghahim.
L’eau est un facteur clé, des canaux principaux rejoignent des séguias. Le souci est que les véritables pluies étant absentes depuis une dizaine d’années l’eau ne coule plus dans les canaux principaux depuis l’oued, et cette eau est si vitale. Aujourd’hui remplacée par des puits qui pompent dans la nappe de l’oued souterrain. Le résultat n’est pas le même, la pluie ayant aussi une action d’atténuer le développement d’insectes nuisibles en lavant les arbres et les cultures.
Une désaffection des jardins est réelle par l’attirance vers la ville pour un travail et une vie d’apparence plus facile.
Abdelghahim est l’exemple d’un cheminement contraire par un retour sur la terre de ses ancêtres. Né à Casablanca où son père était parti travailler dans la grande ville, il découvre à l’âge de sept ans l’oasis et la vie du village, les grands canaux étaient encore chargés de poissons se rappelle-t ’il qu’il pêchait avec ses cousins. Régulièrement il est revenu sur la terre de ses ancêtres et son grand-père lui a transmis les gènes de l’amour de la terre. Il effectue ses études à Casablanca où il travaille. A l’âge de trente-cinq ans le souvenir de cette vie paisible d’enfant l’appel. Il réalise que la richesse de l’oasis peut lui permettre une meilleure vie. Il bénéficie d’une formation dispensée par l’Office Agricole axée sur le palmier et ses dérivés et entreprends ce choix de retour à la terre. Avec le regard extérieur il transforme ce métier de paysan oasien, réalisant que chaque datte peut être utile et transformable en une valeur ajoutée. Il effectue plusieurs essaies avec des coopératives et ses ambitions ne le satisfont pas. Finalement il monte sa propre coopérative familiale où il peut mettre à l’œuvre ses idées, comme un artiste devant un feuille blanche.
Il met à l’œuvre son recule, cette formation croisée avec les connaissances que lui transmettent ses oncles et cousins. Il perfectionne son unité-laboratoire de transformation.
Par suite de cela Abdelghahim prend son bâton de pèlerin à la recherche de clients potentiels à Ouarzazate, il vient frapper à la porte de Dar Daïf, et par chance je suis là. Il a conditionné sa confiture dans des très petits pots en verre comme les pots alimentaires pour bébé et me propose de mettre en dépôt vente ses produits aux clients de Dar Daif comme souvenirs à emporter.
Je lui réponds que nous n’avons pas d’espace adapté à cela, mais que je veux bien goûter sa confiture. Depuis des années je partage l’idée qu’une confiture de dattes devrait-être un produit excellent aux vues de la chaire délicieuse et sucrée. En trois cuillerées je suis convaincu de la qualité de son produit que j’imagine absolument complémentaire sur la table de Dar Daïf et je lui demande s’il a des conditionnements plus grands. Il me répond qu’il a trouvé que ces petits pots, et qu’il ne sait pas où trouver de plus grands. En cherchant tu trouveras forcément des plus grandes contenances. Je lui réponds que s’il avait aujourd’hui deux cents pots d’un kg je lui achèterai au lieu d’approvisionner la confiture d’un supermarché à Marrakech, je préfère de loin encourager à un artisan et un produit local.
Quinze jours après Abdelghahim arrive avec une vielle Renault 12 trainant à l’arrière tellement chargée de pots de confiture. Ce n’était pas une commande que j’avais faite, mais une boutade pour l’encourager, et que j’étais très intéressé ! Devant cette marchandise spécialement conditionnée pour nous j’étais obligé de la prendre. Il nous a fallu six mois pour écouler la marchandise ! Depuis nous avons amélioré le produit que je trouvais un peu trop liquide et lui ai suggéré de laisser des morceaux de dattes plus gros, ce qui a rendu le produit plus fruité.
Depuis nous avons développé d’autres produits, le fameux « Tahlaout » sorte de sirop – huile que j’ai découvert chez les nomades et que je commande régulièrement à Aïcha l’épouse de L’hô, dont j’apprécie particulièrement la texture fruitée pour parfumer les yaourts ou tremper le pain dedans au petit déjeuner comme dans l’huile d’olive.
Dernièrement il m’a proposé de la farine de dattes et une farine mixte (dattes, figues, amendes, noix). Le produit est excellent et nous venons d’inventer un nouveau gâteau avec cette farine mixte de dattes. Aïcha notre pâtissière à su fabriquer ce gâteau en le fourrant avec une patte de dattes travaillée et parfumée à l’eau de fleurs d’oranger et autres ingrédients, vraiment excellent. A l’occasion du dernier ravitaillement j’ai demandé une boîte à Dar Daif que nous avons partagé avec Abdelghahim, bluffé par le résultat de son produit.
Nous partons découvrir le village ancien de Timidart construit sur le modèle Saharien, un rempart le protège. La porte d’entrée au Ksar est renforcée et l’accès en angle. Le village est en partie en ruine. Il bénéficie actuellement d’un programme de restauration des kasbahs et des ksour géré par le CERKAS à Ouarzazate. Déjà les portes d’accès des maisons, et la mosquée ancienne de ce village retrouvent leur beauté d’antan.
Cette initiative entreprise dans plusieurs régions permet de sauvegarder ce patrimoine tellement riche de l’histoire du Pays et encourage les privés à s’investir pour faire revivre ces murs chargés d’histoire. Exemple de l’initiative privée de deux Espagnols et notre ami Ahmed, d’ONG, du village d’El Khorbat grâce à la restauration du village les habitants reviennent dans leurs maisons d’origines construites en pisé et en briques terre, ce ksar a retrouvé une nouvelle vie.
Une auberge a même vu le jour à Timidart, « Kasbah Timidart » à l’intérieur de l’ancien Ksar, créant une activité économique.
Nous rejoignons la maison d’Abdelghahim, il nous fait visiter son laboratoire de transformation des dattes.
L’après-midi suit dans la fraîcheur de la maison attenante en pisé où les voyageurs – artistes se reposent et se concentrent sur leurs projets.
Durant le « Ftor » (repas de rupture de la journée de jeûne) que nous partageons avec notre ami, Abdelghahim continue de nous partager sa passion des dattes qu’il développe. Boufgouss, Jihel, Sayr, sont des dattes de préférences commerciales. Dans la réalité il y aurait plus de 50 variétés (un certain nombre sont endémiques et non connues).
S’en suit un délicieux couscous aux légumes et viande d’un agneau issu des animaux qui complètent son activité.
Après ce repas frugal nous marchons sous les étoiles retrouver notre bivouac. La plupart installerons leur matelas entre les différentes plantes du jardin.
Abdelghahim Ougarane
Coopérative Kasr Al Hamra
Tel watshaap 00212661932242
1 heure 30 de marche depuis notre bivouac pour rejoindre l’entrée du village de Timidart.
Plus 2 heures visite de l’oasis et du village ancien.
7 km piste, sentier, oued de gros cailloux, altitude 900 mètres.
Une magnifique journée de transition entre la montagne et l’oasis, port Saharien.
R.A.D.D.O « L’ÉCOSYSTÈME OASIEN
Les oasis abritent 150 millions de personnes tout au long de la grande zone aride qui s’étend de l’Afrique à l’Asie, du Sahara à la Mongolie. Les plus anciennes ont été développées il y a plus de 2 000 ans. Ce sont des agro-systèmes patiemment élaborés par ses habitants sous forme de constructions sociales, écologiques et économiques très complexes. Véritables modèles de développement durable, les oasis représentent un écosystème spécifique à protéger !
Les oasis constituent des écosystèmes uniques, construits et maintenus par l’être humain depuis des générations à partir d’une gestion rigoureuse des ressources naturelles. Ces agro-systèmes sont caractérisés par un environnement avec de faibles précipitations (parfois moins de 50 mm par an en zone hyperaride) et une forte amplitude thermique journalière allant de 30° à 60°C, accompagnée de températures nocturnes avoisinant 0°C selon les saisons.
L’oasis traditionnelle se caractérise par la superposition de trois étages végétaux permettant de créer un environnement propice au développement des cultures:
• La strate arborée avec le palmier dattier qui culmine de 15 à 30 m et dont les feuilles filtrent les rayons du soleil (la tête au soleil, les pieds dans l’eau) évitant une trop forte évapotranspiration liée aux fortes chaleurs et à l’air très sec
• La strate arbustive (ex: henné, grenadiers…), des vignes accrochées aux palmiers et des arbres fruitiers (ex: pommiers, orangers, abricotiers, pêchers…)
• La strate herbacée avec les plantes basses pour le fourrage (ex: luzerne), le maraîchage avec de nombreuses variétés oasiennes, des plantes aromatiques et médicinales). Les plantes fourragères alimentent les troupeaux qui, par leur fumier, maintiennent la fertilité des sols.
Cette superposition a pour conséquence de créer « l’effet oasis », sorte de microclimat interne à l’oasis, créé sous la protection du palmier. Humidité, chaleur et lumière sont ainsi propices au développement des systèmes de culture et d’élevage, optimisant l’espace dans un milieu où les terres fertiles sont rares.
Jamal Ghallil prof Universitaire hassan II à Casablanca.
Fait une thèse sur le village de Timidart.